Par: Entretien réalisé par Adama NDIAYE – Seneweb.com |

La journaliste Dié Maty Fall se veut claire : elle ne fait pas le procès de Pastef. Elle prend des libertés et des risques d’analyser la stratégie de ce parti politique qui emprunte, selon elle, les méthodes des mouvements islamistes pour détruire notre modèle islamique, dans une optique d’imposer un modèle religieux totalitaire. Au cours de cet entretien, Dié Maty Fall, qui ne milite pas pour la dissolution du Pastef affirme, par contre, que c’est une question de “salubrité publique” de dénoncer les pratiques de cette formation politique qui vise, d’après elle, à faire céder toutes les digues du modèle sociétal sénégalais.  

Vous avez publié, le 10 avril, une tribune intitulée “Sénégal, pays de la Téranga de nos khalifes”. Derrière ce titre se cache en réalité une critique implacable contre le PASTEF et du modèle de société que vous dites qu’ils ont l’intention d’installer au Sénégal. Qu’est-ce qui vous permet de dire que PASTEF est un parti islamiste voire salafiste ?

Je n’ai pas parlé de parti islamiste ou encore salafiste. J’ai analysé un projet porté par ce parti dont bien des aspects rappellent le totalitarisme, aussi bien dans le discours que dans la méthode : dictature de la pensée unique, attaques des médias critiques. Mais là où j’attire l’attention est que l’agenda relooké par Pastef a toujours été là, sauf que c’est le portage politique qui lui faisait défaut.

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N’est-il pas alarmant que lors des émeutes de mars 2021, le fils de l’ex-guide des Frères musulmans d’Égypte, Mustapha Mashhour, Saber Mashhour, auparavant responsable de l’aile armée, vante, à travers deux vidéos, les mérites de Sonko qui était, selon lui, en train de mettre le Sénégal sur la « voie de l’Égypte » ? Son père préfaçait, il y a de cela 33 ans, un ouvrage d’un Sénégalais qui appelait à la réalisation d’un Sénégal « véritablement islamique », avec comme préalable l’éviction de nos confréries et de nos cheikhs.

N’est-ce pas exactement le contenu du discours du responsable de Pastef, Me Ngagne Demba Touré qui a finalement ouvert les yeux à des millions de Sénégalais sur ce que « da’wah » voudrait vraiment dire dans l’idéologie de Pastef

Vous écrivez que lorsqu’ils étaient étudiants à Gaston Berger « Sonko et compagnie ont violemment empêché leurs camarades Tidianes d’effectuer leur wazifa, considérant que c’était du « bida ». Sonko et compagnie n’étaient ni Mourides ni Tidianes, ils leur étaient opposés et pratiquaient déjà du radicalisme islamiste”. Pourtant, Sonko s’affiche en mouride et se déplace très souvent dans les différents foyers religieux…

Il est de notoriété publique que le leader de Pastef faisait partie du comité de la mosquée de l’UGB qui interdisait la wazifa dans ce lieu de culte, de la même manière d’ailleurs que cette mouvance a pris le contrôle de la mosquée de l’UCAD.

Vous ne pouvez comprendre le fait que Sonko soit politiquement mouride que lorsque vous saisirez la notion de Taqiyya que le salafisme moderne et les Frères musulmans ont emprunté au chiisme. L’agenda avait besoin des subterfuges de la Taqiyya, concept défini par un grand spécialiste de l’islam comme « la stratégie, empruntée au chiisme, de dissimulation de l’agenda réel, le temps que le rapport de force devienne favorable ».

“Le terrorisme dans son expression violente n’est qu’un moyen parmi tant d’autre pour arriver à une fin: imposer un modèle religieux totalitaire et surtout prendre le pouvoir”

En attendant, la fin justifiera les moyens, au prix de toutes les contorsions voire compromissions.

Puis, on adopte le leurre en technique d’infiltration de tout le tissu social, des confréries, des campus universitaires, de certains ministères et services de l’Etat jusqu’au jour où un haut responsable de Pastef révéla, enfin, le « projet » : l’élection de l’édile des « salons » n’est, selon l’un de ses plus proches collaborateurs, Me Ngagne Demba Touré, qu’un objectif intermédiaire: il faudra, ensuite, selon cet agenda, se débarrasser de notre modèle islamique et de ses propagateurs (marabouts) et protecteurs (khalifes) contre le virus de l’extrémisme.

Déjà, en 2014, un certain Abu Oussama Diallo de son pseudo, alors travaillant, comme Sonko, au Trésor (curieuse coïncidence) appelait à une « armée de preux » pour aller détruire les mausolées à Touba, à Tivaouane et tailler le nouvel « Etat islamique » entre les berges du fleuves Sénégal et le Fouta Djallon avant d’être débusqué sur les réseaux sociaux: l’arme de toujours.

Vous comprendrez que le terrorisme dans son expression violente n’est qu’un moyen parmi tant d’autre pour arriver à une fin: imposer un modèle religieux totalitaire et surtout prendre le pouvoir.

Lors de plusieurs de ses apparitions, Ousmane Sonko pose devant un portrait de Thomas Sankara, peu connu pour ses positions fondamentalistes, et non devant celui du Mollah Omar. Ne lui faites-vous pas un mauvais procès ?

Je ne fais pas de procès mais je prends la liberté de l’analyse, malgré la pression exercée même sur les médias et les réseaux sociaux

J’assume ce travail de salubrité publique dans un contexte où le populisme a le vent en poupe au point de convoquer, de manière assez malhonnête, tous les imaginaires, toutes les figures comme Sankara.

Surtout que la nouvelle trouvaille des salafistes, dans une stratégie digne d’une « ligne de masse » comme disaient les acteurs de la gauche, est de fédérer toutes les contestations nationalistes, gauchistes, anti-libérales.

Exactement comme avait fait Khomeiny dans sa Révolution. Le réveil de la gauche a été dur, une fois qu’il est arrivé au pouvoir.

Cela devrait d’ailleurs ouvrir les yeux aux intellectuels et autres nationalistes de gauche, face au leurre de Sonko dans lequel ils voient peut-être une lueur d’espoir de concrétisation de la Révolution tant rêvée.

Il faut avoir la mémoire courte pour oublier que les porteurs de cette idéologie, qui a pris racine dans les mosquées de nos campus, avaient, dans les années 90, osé prononcer le takfîr d’une figure africaine comme Cheikh Anta Diop et de l’éminent Professeur Saliou Kandji dans la revue « l’Étudiant musulman », qu’elle considérait comme sortis de l’islam et donc bons à tuer dans le cadre du Jihad.

Revenant sur le Sénégal, grâce aux remparts que sont les confréries, les groupes extrémistes n’ont pas réussi la radicalisation de masse par le bas, comme au Mali ou au Burkina où les confréries sont, de loin, moins importantes.

“J’ai pleuré le jour où le Khalife des Niassènes, Cheikh Mahi, homme de paix qui s’investit jusqu’au Soudan, s’est résigné à désormais faire face aux insultes de Pastef, dont l’une des plus caractéristiques de la tendance que je décris, est de donner le sobriquet de « nervis religieux » à nos marabouts parfaitement dans leur rôle et qui appellent à la paix”

Sonko est, justement, le cheval de Troie pour une stratégie de conquête islamiste du Sénégal par le haut. Alors, la tentation de la conquête par le haut, avec l’arrivée au pouvoir d’illuminés endossant le projet originel qui n’a pas pris une ride, devient forte, pressante, au point de rejaillir sur le discours et la méthode.

La seule nouveauté est que le « Projet » s’adosse, désormais, sur une double démarche.

Il y a d’abord, la sacralisation de son porteur, Sonko, pour en laver les souillures (mu sellmi) à travers un glissement sémantique savamment orchestré (Magal de Keur Massar, Fathu Mbacké pour paraphraser « Fathou Makka, conquête de la Mecque, Ndiguel de PROS etc.)

Ensuite, commence le travail de dé-sacralisation de nos guides religieux, désormais vulnérables à l’indiscipline fondatrice de la nébuleuse et à portée de l’insulte et de l’intimidation, afin de les dissuader de sauvegarder leur legs reçu des pères fondateurs et du Prophète dont ils sont les héritiers. Surtout les empêcher d’appeler à la Paix: mot qui n’a jamais autant souffert de haine dans notre pays de la part des partisans du chaos. Appeler à la « paix » équivaut, de nos jours, à la haine contre le « Projet ».

J’ai pleuré le jour où le Khalife des Niassènes, Cheikh Mahi, homme de paix qui s’investit jusqu’au Soudan, s’est résigné à désormais faire face aux insultes de Pastef, dont l’une des plus caractéristiques de la tendance que je décris, est de donner le sobriquet de « nervis religieux » à nos marabouts parfaitement dans leur rôle et qui appellent à la paix.

Ceux qui connaissent l’histoire du Sénégal d’avant les barbares, savent les liens d’affection, d’admiration, de protection et d’amour que Mame Baye Niasse avait exclusivement pour le journaliste Alioune Fall. Le Khalife de la Fayda avait poussé la loyauté jusqu’à rejoindre le Seigneur, quelques semaines après avoir constaté le rappel à Dieu de son fils spirituel, confident, secrétaire, lecteur de presse, chauffeur de sa Jeep lors des vacances scolaires et ami. Paix éternelle à leur âme, amen.

Il faut se ressaisir.

“Je suis soulagée que mon ami Khalifa Sall, socialiste et Senghorien comme moi, se soit définitivement éloigné de ce sectarisme

Certains vous reprochent de diaboliser PASTEF et son leader, à l’instar d’autres intellectuels proches de la majorité. Que répondez-vous ?

Je garde la sérénité de l’analyste pour ne pas tomber dans le piège de l’auto-flagellation intellectuelle et de l’autocensure, qui sont la résultante de la stratégie de l’intimidation.

Vous savez, dans le phénomène sectaire, toute déviation de la ligne imposée par le gourou est conçue comme une trahison.

Je préfère la fidélité à la tradition journalistique et à la liberté de dire et de contredire. Si tout le monde cède à la tentation de l’autocensure, l’hydre nous détruira tous, et notre modèle de société en même temps.

Pastef s’est diabolisé tout seul en voulant nous priver de la simple liberté de juger, en voulant tuer le génie sénégalais de la nuance et de la modération: c’est d’ailleurs la raison pour laquelle chaque jour de jugement ou de procès est un jour de guerre pour eux.

Vous savez, la nature d’un mouvement transparaît toujours dans ses moindres agissements. D’ailleurs le simple fait de dire, comme les caciques de Pastef, « les intellectuels proches de la majorité », est un indice éloquent de l’esprit sectaire que veut nous imposer ce parti. C’est exactement cela la stratégie manichéenne propre aux groupes sectaires, de scinder l’espace médiatique, intellectuel, religieux, politique en catégories de bien et de mal, selon leur propre appréciation et surtout leurs intérêts du moment.

Selon cet esprit, dès qu’on bascule vers le Pastef on est dans le domaine du « bien ». Dès qu’on ose la critique, on devient l’incarnation du « mal ».

Je peux vous dire, aujourd’hui, que ce « mal » est devenu aujourd’hui nécessaire, quitte à retomber sur mes pieds senghoriens. Je suis d’ailleurs soulagée que mon ami Khalifa Sall, socialiste et Senghorien comme moi, se soit définitivement éloigné de ce sectarisme.

In fine, le sectarisme de Pastef ne mise que sur le fait de faire céder toutes les digues, les confréries, les intellectuels, les opposants à l’esprit sectaire, nos valeurs de tolérance et d’ouverture au monde pour dérouler la stratégie de sape et de division pour enfin régner.

Dans ce combat contre l’inacceptable, il n’y a plus de place à la division du minimum d’espace de liberté et de résistance qui nous reste entre opposants et partisans du pouvoir. Il s’agit d’une œuvre de salubrité publique et forcément d’un sursaut de toutes parts.

“La bataille des idées plutôt que la dissolution de PASTEF”

Le Procureur Général a accusé PASTEF d’avoir des accointances avec la rébellion casamançaise. Vous, Dié Maty Fall, parlez de “lien entre Pastef et le jihadisme radical islamiste”. Au bout du compte, faut-il dissoudre PASTEF ? Est-ce là ce que vous préconisez ?

Le procureur général doit être certainement mieux et plus informé que moi pour étayer ses dires par plus d’éléments factuels. Vous savez, au Tribunal, on juge des faits, qu’ils se soient déroulés dans un salon de massage ou s’agissant d’une diffamation sur des concitoyens.

Alors que l’esprit pastéfien est tellement dans l’idéologie qu’il a horreur du réel et qu’il finit par le détester, surtout lorsque ce dernier contrarie la pensée unique et la logique d’intérêt d’un seul homme qui croit avoir raison devant toutes les lois de la République.

J’ai dit, au début, que le Jihadisme est un simple moyen: la fin étant d’instaurer un système totalitaire.

“Le flair des femmes a toujours été un indicateur de taille dans la détection des autoritarismes. Les femmes ont toujours été à l’avant-garde des batailles contre les extrémismes”

En plus du glissement sémantique vers les concepts propres aux mouvements terroristes et à la martyrologie pastéfienne appelant à se sacrifier pour la survie d’un homme et la défense de ses intérêts politiques, le modus operandi lors des manifestations violentes (incendie de biens, appels au meurtre, ciblage des FDS, etc) rappelle Boko Haram ou les brigades rouges.

Mais le pire n’est pas le modus operandi, qui peut être contrecarré par les forces de défense et de sécurité, c’est l’idéologie de destruction des confréries de la même manière que le fait de raser les mausolées de Tombouctou avait plongé le Mali dans la décennie d’horreur qui se prolonge.

Il serait lâche pour une combattante de la liberté de choisir la facilité de l’élimination de l’adversaire par la dissolution. Je préconiserais le combat par les idées. Pour ce faire, sans dénier à l’État son rôle de protéger la République et ses institutions, j’ai tellement foi en ce génie sénégalais du discernement, qu’à la différence de Pastef, j’investirai toute mon énergie dans la bataille des idées, par ma modeste contribution à l’éveil des consciences.

Vous savez, le flair des femmes a toujours été un indicateur de taille dans la détection des autoritarismes. Les femmes ont toujours été à l’avant-garde des batailles contre les extrémismes: elles en ont toujours été les premières victimes, que ce soit en Algérie ou en Afghanistan.

C’est pourquoi, je n’attendrai pas que l’extrémisme devienne violent pour le combattre. C’est pour cela d’ailleurs, davantage convaincue que le ver est déjà dans le fruit, que je consentis toutes ces semaines aux sacrifices nécessaires pour affronter toute la violence symbolique de Pastef et de ceux qui en portent l’idéologie.

Le Sonkisme distillé dans l’esprit de nos jeunes m’effraie plus que Sonko lui-même qui, en se dévoilant progressivement, devient, de jour en jour, son propre adversaire.