Réponse aux indignations sélectives et aux silences coupables d’une intelligentsia en quête de pouvoir
Il arrive un temps où les masques tombent, et où les mots, jadis nobles, se prosternent devant le trône. L’annonce de la nomination de l’ancien Président Macky Sall au conseil d’administration de la Fondation Mo Ibrahim a suscité une tribune signée par cinquante-six intellectuels. Mais au lieu d’un appel lucide à l’éthique publique, le lecteur attentif y perçoit une indignation à géométrie variable, une mémoire orientée, et surtout, un arrière-goût de stratégie politicienne. Lorsqu’un intellectuel cesse de questionner la complexité du réel pour ne parler qu’à l’instant, il n’est plus une vigie. Il devient scribe de cour. Le Pharaon a changé, mais les scribes sont restés.
- La décote numérique : de plus de 100 voix à 56 signatures, la mémoire s’émiette
Ils étaient près de 200 à ferrailler contre le régime de Macky Sall avant avril 2024. Ils ne sont plus que 56 aujourd’hui. Ce chiffre, en chute libre, n’est pas un hasard : il reflète une fracture morale. Bon nombre de ceux qui, hier, brandissaient la plume au nom de la démocratie, se sont tus, déçus par les premiers pas d’un pouvoir qu’ils avaient pourtant contribué à faire émerger.
Récemment, j’ai échangé avec un universitaire respectable, signataire actif des premières tribunes. Cette fois, il a refusé de signer. Déçu. Frustré. Il m’a confié qu’on lui avait expressément demandé son CV, comme si l’opinion devait désormais s’acheter au prix d’une nomination. Il a dit non. Et m’a soufflé : « On ne vend pas sa plume deux fois. » Ce refus a résonné comme un acte de résistance. Peut-être même comme l’ultime geste d’une conscience libre. - Des silencieux face à l’insupportable
Où étaient ces intellectuels lorsque l’Université Cheikh Anta Diop fut incendiée par des manifestants enragés après l’affaire Sweet Beauté ? Où étaient-ils quand le CESTI, haut lieu de formation des plumes et des voix de demain, a été livré aux flammes ? Le silence fut assourdissant. Pourtant, comme l’écrivait Heinrich Heine : « Là où l’on brûle des livres, on finit par brûler des hommes. »
Aucun mot, non plus, pour la fillette de sept ans, brûlée vive dans un bus à Yarakh. Là où Albert Camus aurait exigé qu’on choisisse la justice pour l’enfant plutôt que l’ordre du monde, eux ont préféré détourner les yeux.
Et que dire du silence gardé quand leur leader appelait à « déloger Macky Sall et le traîner comme Samuel Doe », ce président libérien assassiné dans l’horreur ? Un appel à la violence, à la barbarie politique. Auraient-ils perdu leur plume ? Ou leur conscience ? - Des critiques à géométrie variable
Les mêmes qui fustigent la gouvernance passée restent étrangement muets sur les dérives présentes :
- Les propos du Premier ministre justifiant les limitations de liberté « pour le développement »
- Les attaques répétées contre les guides religieux, les magistrats et les institutions
- La justice convoquée au nom du peuple mais instrumentalisée au nom du parti
- Les arrestations ciblées de figures politiques, économiques et médiatiques, dont les cas de Lat Diop, Farba Ngom, Samuel Sarr, Moustapha Diakhaté, Ardo Gning ou Assane Diouf
- L’asphyxie de la presse libre, l’intimidation des voix dissidentes, les baillons posés sur les éditorialistes
- Le refus d’exécuter une décision de la Cour suprême dans l’affaire Mansour Faye.
Et j’en passe…
Le populisme, rappelait Hannah Arendt, prospère sur la peur de la complexité et la haine des institutions. En se taisant, ces intellectuels valident ce glissement vers l’irrationnel autoritaire.
- Macky Sall : l’ingénieur d’un projet national durable
L’ancien président n’est pas un despote recyclé, mais un bâtisseur. Il a laissé un État structuré, des institutions consolidées, une gouvernance ancrée dans la planification. Je reviendrai, Incha Allah, sur les réalisations concrètes dans une autre publication. Mais déjà, rappelons quelques axes majeurs :
- Réformes majeures dans l’enseignement supérieur et la formation
- Renforcement du système de santé.
- Déploiement d’infrastructures modernes (routières, ferroviaires, portuaires, aéroportuaires, sportives).
- Politiques sociales inclusives : bourses de sécurité familiale, CMU, gratuité de soins pour certaines catégories sociales
- Sécurité intérieure renforcée dans un contexte régional instable
- Diplomatie active et audible : présidence de l’UA, rôle au G20, Conseil de sécurité)
- Numérisation de l’administration, mise en place de data centers, parcs technologiques
- Gouvernance sobre, ouverture au dialogue social et politique
- Promotion de la presse et des libertés encadrées.
Il a, de surcroît, renoncé à une troisième candidature malgré l’ambiguïté constitutionnelle. Et, surtout, accepté la décision du Conseil constitutionnel rejetant le report du scrutin de 2024, ouvrant la voie à une élection inclusive. Cela aussi, l’Histoire le retiendra.
- Quand l’intellectuel abdique sa mission critique
Ces 56 scribes dénoncent l’endettement passé, mais passent sous silence les 4 500 milliards empruntés par le nouveau régime en moins d’un an. Ils crient à la justice instrumentalisée, mais ferment les yeux sur une loi interprétative conçue pour blanchir des actes de violence contre des institutions républicaines.
Quand le savoir devient opportunisme, la démocratie se meurt. Edward Said nous le rappelait : « L’intellectuel est celui qui dit la vérité au pouvoir, non celui qui la murmure pour s’en faire aimer. » - Réhabiliter la vérité, réconcilier la mémoire
Le silence face à l’inacceptable pèse parfois plus lourd que les abus du pouvoir. Certains se drapent dans la mémoire, mais ne ramassent que le bois mort qui les arrange. Ce que sans doute Birago Diop aurait appelé le souvenir mutilé.
Macky Sall, dans ses erreurs comme dans ses accomplissements, mérite d’être jugé avec lucidité, pas par des tribunes à charge. La Fondation Mo Ibrahim, en valorisant son parcours, a sans doute vu ce que ces scribes refusent de reconnaître.
Comme le disait Antonio Gramsci, « L’intellectuel est le ferment critique de la société. Il n’est pas son miroir, mais sa conscience. » - Et maintenant : réinvestir la mission de l’intellectuel
Il va sans dire que cette critique ne s’adresse pas à l’ensemble des intellectuels sénégalais. Beaucoup, dans l’ombre des bibliothèques et le silence des amphis, œuvrent avec rigueur à faire avancer notre pays. Ce texte cible les 56 signataires, ces intellectuels de cour, alignés non sur la vérité, mais sur les promesses du pouvoir.
L’heure est venue de leur rappeler leurs vraies responsabilités.
Où sont les propositions pour refonder l’université sénégalaise et former des diplômés employables ? Où sont les travaux sur l’intelligence artificielle, la transition écologique, la gouvernance des ressources extractives, la mobilité intra-africaine, la souveraineté numérique, les effets de la désinformation sur les enfants, les repositionnements géopolitiques de l’Afrique, ou encore les impacts des choix de Trump, Poutine, ou Xi Jinping ?
Où sont les épistémologies du Sud ? Où sont les voix critiques capables d’imaginer une Afrique par et pour elle-même ?
Voilà les vrais chantiers intellectuels. Voilà ce que la République attend. Voilà ce qui distingue l’intellectuel du propagandiste.
En vérité, en contestant la nomination de Macky Sall au sein du Conseil de la Fondation Mo Ibrahim, c’est toujours le même projet qui se poursuit : celui de la négation du Sénégal, de son histoire, de ses institutions, de sa voix dans le monde.
Comme le souligne Jérôme Bindé dans Où vont les valeurs ?, l’un des grands défis du XXIᵉ siècle ne sera pas tant l’accès à l’intelligence ou à la connaissance, que la capacité à les orienter selon des repères de sens et des valeurs humanistes.
Bassirou KEBE,
Président de LIGGEY SUNU REEW
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