Dans un pays longtemps épargné, la dernière vague se révèle fatale. La mortalité y est, en proportion, la plus importante d’Afrique. Virulence des variants, manque de vaccins, incivilité sont pointés mais c’est surtout l’impéritie du gouvernement qui est mise en avant.
« Aujourd’hui, c’est Pfizer.» L’information parvient à Henda Malek sitôt les barrières du Palais des congrès de Tunis, transformé en centre de vaccination, franchies. Soulagée, la sexagénaire n’aura pas payé le trajet de 20 km en taxi depuis sa maison de Mornaguia, à l’ouest de Tunis, pour rien. «Si cela avait été le vaccin chinois, on aurait hésité, raconte sa fille. Le problème, c’est que le nom du vaccin n’est pas précisé dans le rendez-vous que l’on reçoit par SMS.» En attendant que le numéro de Henda Malek soit craché par les haut-parleurs, les deux femmes prennent place sur les chaises en plastique disséminées sous chaque petit coin d’ombre, à l’extérieur du bâtiment.
Tant pis pour le respect de la distanciation sociale, les 35 °C ont raison de la règle. A l’intérieur, l’organisation est au cordeau : des infirmiers passent entre des rangées bien espacées de fauteuils matelassés, réservés aux invités de marque dans les événements qu’accueille habituellement le site, pour piquer les 2015 volontaires attendus ce vendredi 9 juillet. La docteure Lamia Zayati, responsable du centre, est confiante : «Avec Pfizer, on aura peu de désistements. Il y a deux jours [7 juillet], on avait le vaccin chinois CoronaVac, seuls 30 % des doses ont été utilisées. Les gens ont fait demi-tour.»
135,63 morts pour 100 000 Habitants
La faute à l’égoïsme de l’Europe, qui garde les bons vaccins», maugrée une blouse blanche, qui n’en dira pas plus. Plus de 3٫2 millions de Tunisiens se sont inscrits pour la vaccination, mais moins de 20 % (soit 5 % de la population totale) ont reçu, pour l’heure, les deux doses. L’ancienne Carthage est désormais le premier pays d’Afrique en nombre de décès du Covid-19 : 135,63 pour 100 000 habitants selon l’université Johns-Hopkins. Il y a un an, le pays ne comptait pourtant que 54 morts.
Les autorités donnaient alors facilement l’autorisation de visiter le circuit Covid de l’hôpital Charles-Nicolle, le principal établissement de Tunis. Aujourd’hui, le ministère de la Santé traîne et propose éventuellement une visite de l’hôpital militaire, a priori moins exposé. «Ce n’est pas très joli ici, souffle au téléphone un médecin des urgences de Charles-Nicolle. On est passé de 40 à 250 lits Covid sur tout l’hôpital, mais on n’y arrive pas. Aux urgences, on est à 300 % d’occupation des lits !» Un tiers des 3 000 soignants de l’hôpital ont été infectés par le virus et deux en sont morts. Sur les réseaux sociaux, des vidéos montrent des patients dormant dans des couloirs dans plusieurs hôpitaux. Les bouteilles d’oxygène manquent. Les concentrateurs d’oxygène commandés par l’Etat ne suffisent pas.
«Les cas graves se sont accélérés avec les nouveaux variants, constate le professeur Hichem Aouina, chef du service pneumologie à Charles-Nicolle. La majorité des décès se fait aux urgences car les patients arrivent déjà dans un état qui nécessiterait une prise en charge en réanimation, ce qui est impossible. Pendant les deux prochains mois, jusqu’à ce qu’un nombre suffisant de citoyens soient vaccinés, les Tunisiens doivent comprendre qu’ils ne peuvent compter que sur eux-mêmes en respectant les mesures de base, car le gouvernement est incapable de faire respecter les règles.» A La Goulette, jouxtant Tunis, les policiers n’ont pas réussi à faire fermer les magasins malgré les cas positifs des commerçants. Tout juste ont-ils obtenu de ces derniers qu’ils portent des masques.