L’écart entre le nombre de vaccins administrés dans les pays riches et les pays pauvres « se creuse » et devient « grotesque » : le directeur général de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), Tedros Adhanom Ghebreyesus, n’a pas masqué sa consternation, lundi 22 mars, pour décrire une situation de plus en plus inégale dans l’accès à la vaccination contre le Covid-19. L’Afrique, où presque tous les pays dépendent du mécanisme de solidarité Covax pour recevoir leurs premières doses, est la première concernée. Cette initiative, sous l’égide de l’OMS, a pour objectif d’assurer gratuitement la vaccination de 20 % de la population de 92 pays à revenus faibles et intermédiaires d’ici à la fin de l’année. Au 22 mars, 15,2 millions de doses avaient été livrées aux pays du continent sur les 600 millions promises.

Pour renverser cet ordre des choses, l’Afrique du Sud et l’Inde tentent depuis cinq mois d’ouvrir une brèche à l’Organisation mondiale du commerce (OMC) en plaidant pour une levée temporaire des droits de propriété intellectuelle sur les vaccins et les autres produits médicaux nécessaires à la lutte contre la pandémie. Sans succès. Le texte soumis aux 164 pays membres n’a toujours pas été examiné et, de l’aveu même de ceux qui y sont opposés, tout est fait pour que la discussion continue de « tourner en rond ».

La proposition des deux pays émergents a pourtant le soutien d’une centaine d’Etats (parmi lesquels le groupe Afrique à l’OMC), des grandes ONG humanitaires et du directeur général de l’OMS. « Si nous ne levons pas aujourd’hui les droits sur les brevets, alors dans quelle autre circonstance le ferons-nous ? », interpelle l’ancien ministre éthiopien de la santé, quitte à froisser les plus puissants membres de son institution.

Le recours aux « licences obligatoires »

Le Royaume-Uni, le Canada, la Suisse, l’Union européenne (UE) et désormais les Etats-Unis – qui ont réintégré l’OMC après le retrait de Donald Trump en juillet 2020 – ne veulent pas entendre parler de cette dérogation à l’Accord sur les droits de propriété intellectuelle liés au commerce (Adpic). La Chine, qui en-dehors de l’enceinte genevoise ne se prive pas de critiquer le nationalisme vaccinal des pays riches, s’est jusqu’à présent gardée d’afficher une position tranchée dans le débat.

Leur premier argument consiste à affirmer qu’il serait malvenu de priver les laboratoires pharmaceutiques de leur incitation à innover. Le deuxième invoque le possible recours à des licences obligatoires. Ce dispositif, adopté par l’OMC au début des années 2000 à l’issue d’un long combat des pays pauvres et des associations de malades du sida, permet à un gouvernement de « casser » un brevet sans l’accord de son détenteur pour produire des génériques à moindre coût et en quantité suffisante, de façon à protéger sa population. « Les outils existent déjà, nous avons des solutions », répétait encore il y a quelques jours l’ambassadrice européenne auprès de l’Union africaine (UA), Birgitte Markussen, pour justifier l’attitude des Vingt-Sept à l’OMC.

L’affirmation ne convainc pas. Le directeur des programmes de vaccination pour l’Afrique à l’OMS, Richard Mihigo, connaît bien le sujet : « Cela ne marche pas. Aucun pays, a fortiori lorsqu’il est pauvre, ne peut obliger rapidement un laboratoire à lui céder son vaccin. Et vous observerez que dans le cas de la présente pandémie, personne n’a essayé de recourir aux licences obligatoires contre AstraZeneca ou Pfizer pour résoudre ses problèmes d’approvisionnement. »

L’Afrique importe 99 % de ses vaccins

Mais rompre le monopole détenu par une poignée de sociétés occidentales sur le vaccin anti-Covid n’est pas non plus une solution magique. Du moins en Afrique. Le continent importe 99 % des vaccins dont il a besoin. La pandémie de Covid-19 rappelle cruellement cette dépendance absolue. Le financement des grandes campagnes de vaccination contre la rougeole, la polio, la diphtérie, etc., est assuré en majeure partie par l’aide internationale, à travers notamment des initiatives comme GAVI, l’Alliance du vaccin.

« Notre capacité à fabriquer des vaccins reste très limitée. Disposer des brevets ne changerait pas la donne dans la crise actuelle », avertit William Kwabena Ampofo, président de l’Initiative africaine pour la fabrication de vaccins, qui regroupe des instituts de recherche médicale. Le continent compte en tout et pour tout six unités de production de vaccins : le réseau des centres Pasteur dans les trois pays du Maghreb et au Sénégal, l’entreprise publique Vacsera en Egypte et l’institut public Biovac en Afrique du Sud. Aucune d’entre elles ne serait capable de produire un AstraZeneca ou un Pfizer sans accompagnement technique et d’importants investissements. « En Afrique du Sud, le fabricant de générique Aspen Pharmacare a négocié un accord avec Johnson & Johnson pour la formulation et le conditionnement de son vaccin. Nous espérons qu’ils seront en mesure de produire d’ici à la fin de l’année », nuance Richard Mihigo.